<aside> 👨🏻 Auteur : Arnaud Ramponneau

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<aside> 📖 Publié le 17 décembre 2023 • 2185 mots

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Si le potentiel des modèles génératifs et des assistants intelligents suscite un emballement médiatique (et une potentielle bulle spéculative), l'utilisation réelle par le grand public est loin d'être évidente.

L'innovation technologique bat son plein. Disruption, innovation de rupture, prochaine révolution, les superlatifs ne manquent pas pour qualifier les miracles technologiques. Plus qu’un argument de vente, l’innovation est devenue religion. Les techno-sceptiques sont les hérétiques qui s’opposent à la marche du Progrès. D’ailleurs, les géants du numérique sont les premiers fanatiques de cette divinité, dont ils prêchent les bienfaits et inventent les prophéties. Entrepreneurs, GAFAM, médias et cabinets de conseils, tous vénèrent le miracle technologique, surtout s'il provient de la Silicon Valley.

En 2023, ChatGPT de la société OpenAI symbolise cette véritable croisade technologique. Avec l’intelligence artificielle (IA), désormais générative, et ses agents, sorte de nouveaux assistants intelligents, un miracle nous tombe du ciel. Or, si le potentiel des technologies d'IA promet d'ouvrir une nouvelle ère de services et d'applications numériques, leur déploiement à grande échelle est tout sauf évident. Un an après que ChatGPT ait été rendu accessible au public, et tandis que l'enthousiasme autour des IA génératives demeure toujours aussi fou, la croissance des usages reste à démontrer.

L’adoption de masse se fait attendre

Avec 100 millions d’utilisateurs mensuels seulement deux mois après son lancement1, la trajectoire de ChatGPT est fulgurante pour une entreprise née en 20152. Cette dynamique se nourrit d’une publicité hors-norme, surtout lors des spéculations de levées de fonds pouvant, aux dernières nouvelles, valoriser l’entreprise à 100 milliards de dollars en 20243. Cependant, croyance et irrationalité fondées uniquement sur un potentiel futur ne suffisent, à ce jour, à placer ChatGPT au niveau des grandes plateformes aux milliards d’utilisateurs quotidiens, tels que YouTube, Facebook, WhatsApp ou Gmail. Les prédictions des experts en IA et des médias amplifient ses discours, mais l'adoption, elle, attend sa révolution.

En France, ChatGPT ne s’est pas hissé dans le top 10 des applications iOS ou Android les plus téléchargées en 2023. C'est pourtant le cas au sein du classement international qui place ChatGPT en neuvième position avec 19 millions de téléchargements dans le monde en novembre 20234. Pour le même mois, dans l’Hexagone, ChatGPT représente 260 000 téléchargements au total et se positionne à la 22ème place de l'App Store d'Apple5. Bien que 83 % des Français aient entendu parler de ChatGPT, que 55% déclarent connaître et savoir ce qu’est ChatGPT, seulement un cinquième d'entre eux l'a effectivement essayé (sondage Ipsos sur une enquête réalisée auprès d'un échantillon de 1 000 personnes6).

Rappelons que par le passé, nous avons été témoins de l'arrivée sur le marché de technologies d’IA très prometteuses, pour lesquelles de nombreuses prévisions optimistes ne se sont jamais concrétisées : les assistants vocaux intelligents tels que Siri ou Alexa allaient envahir notre quotidien, l'apprentissage machine serait capable de prédire toutes nos actions, et les dialogueurs (chatbots) allaient devenir vraiment intelligents. Ces exemples soulignent la nécessité de rester prudents dans l'évaluation des solutions et des usages proposés par les IA génératives. Pour certains, l'avènement de la nouvelle informatique est parfaitement représentée par l'IA, bien qu’elle incarne pour d'autres un avenir dystopique.

Les fonds d’investissement américains se rappellent du faible déploiement d'anciennes révolutions IA. Ils préconisent de ne plus faire référence à l’époque des robots ou autres machines, mais de porter un imaginaire incarné par les « compagnons »7. Cette terminologie souligne la nécessité de positionner ChatGPT différemment des assistants personnels du passé, justement, car ils n'ont jamais trouvé leur public. Il est indéniable qu’un nouveau service révolutionnaire, une plateforme réellement massive et aussi phénoménale que les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les plateformes de visionnage ou la musique illimitée, représente un immense défi. Si l’IA est aussi révolutionnaire qu'on l'entend, ChatGPT n'a pas encore atteint ce niveau.

Un acteur au positionnement (trop) généraliste

Quand on ouvre ChatGPT, on a du mal à identifier la finalité du service. Ce n’est pas un service clé-en-main répondant à un besoin précis. Il y a au contraire, de multiples possibilités pour s’en servir, et en tant qu'utilisateur, on s'essaye à comprendre ce qu’on peut en faire au quotidien. Traduction multilingue de texte, rédaction d’articles ou de courriels, inspirations pour un cadeau de Noël, idées pratiques pour organiser un voyage… À la première utilisation, on tape ce qui nous passe par la tête, on regarde la qualité des réponses et on se fait une idée de la pertinence de l’outil qui génère des résultats textuels.

En fait, on pourrait classer l’utilisation de ChatGPT selon 3 types d’usages :

Ce qui surprend véritablement est que ChatGPT tranche avec l'utilisation classique d’un service numérique : il n'est pas conçu pour un usage spécifique. Et ce que propose l’outil comme solution reste flou. Les promesses de l’IA rabâchées au grand public, ses capacités prédictives et ses exploits génératifs peuvent produire un contre-effet déceptif dès la première utilisation. Néanmoins, c'est ce côté généraliste qui a aussi permis la croissance de sa base d'utilisateurs, attirée par la perspective de « tester l'IA » et les nouveaux « assistants généraux », puisque ChatGPT représente 68,7 % des utilisations d'agents IA (suivis des avatars et des générateurs de contenu)8. La tendance est à la découverte de ChatGPT, mais l’utilisation régulière n’est pas encore au rendez-vous.